Archive   Colonel Michel Gueu, membre du MPCI: Pourquoi je suis devenu rebelle
  Interview article du:  2 Mar 2003




Colonel Michel Gueu (MPCI) :

«Pourquoi je suis devenu rebelle»

C’est l’un des officiers les plus célèbres de la rébellion, mais l’un des plus secrets aussi. Son nom a rimé avec tous les soubresauts militaires qu’a connus notre pays. Réputé brillant, il a fait la fierté des armes de notre pays. Aujourd’hui il a pris les armes contre son pays. Qu’est-ce qui a poussé le Colonel Michel Gueu, membre de l’élite militaire de notre pays à entrer en rebellion contre ses anciens frères d’armes ? Il s’en explique dans cette interview.

Entretien réalisé à Bouaké par Kader Diaby (Correspondant)

• Colonel Gueu, le président Gbagbo annonce un gouvernement probable de 46 ministres, qui n’accorde pas, comme vous le revendiquiez, les portefeuilles de la Défense et de l’Intérieur au MPCI. Vos réactions.

Colonel Michel Gueu : J’estime que le Président Gbagbo est entrain de distraire le monde et qu’en même temps, il joue avec le feu. Parce qu’il était à Paris, à Kléber lorsque le gouvernement a été constitué, en présence de certains de ses pairs, Chefs d’Etat africains. Vous avez tous suivi, il est sorti tout souriant. C’est à peine s’il n’a pas dit que c’était le plus beau jour de sa vie, qu’il était d’accord avec tout. Alors, on a été surpris de l’entendre dire après que ce sont des « propositions « qui avaient été faites à Marcoussis et à Kléber. En l’état actuel, nous ne sommes pas concernés par son gouvernement. Le MPCI et les autres « Forces nouvelles « ne se sentent pas concernés par son gouvernement.

• Est-ce à dire que si ce gouvernement était rendu public par le Premier ministre, Seydou Diarra en l’état, le MPCI n’y siègerait pas ?

Cl. M. G. : Pas du tout ! Pour l’instant, nous attendons le retour de M. Guillaume Soro qui est encore à Paris pour que nous nous réunissions. D’abord entre nous le MPCI, et avec les autres forces rebelles ensuite. Mais si ça ne tenait qu’à moi, le MPCI ne siègerait pas du tout dans un tel gouvernement.

• Pourquoi voulez-vous tant le ministère de la Défense ?

Cl. M. G. : D’abord, parce que dans le contexte actuel, nous pensons que le MPCI, avec le Colonel Gueu à la tête des combattants, peut s’adresser à la fois aux forces dites rebelles et aux forces dites loyalistes - dont 75 % au moins ont été soit formés par moi le Colonel Gueu Michel, soit ont servi sous mes ordres - avec des chances d’être entendu. Actuellement, c’est le Lt-colonel Yao Yao Jules, plus deux généraux et quelques colonels-majors anciens, qui tiennent en otage les Abidjanais. Sinon, les jeunes officiers, les sous-officiers et les militaires du rang sont en phase avec nous. Ils sont prêts à nous accueillir en fanfare et à nous faire un triomphe lorsque nous serons aux portes d’Abidjan.

• Vous dites Colonel, que les militaires d’Abidjan sont en phase avec vous. Pourtant le 19 septembre, ce sont ces mêmes militaires dont vous parlez, qui vous ont repoussés hors d’Abidjan.

Cl. M. G. : Ceux qui ont attaqué Abidjan n’avaient pas suffisamment informé nos amis qui sont dans la capitale. Donc les gens ne savaient pas exactement à qui ils avaient affaire. C’était mon cas d’ailleurs. Moi, j’étais ici à Bouaké comme Commandant en second de la 3e région militaire. Je ne savais pas à qui j’avais affaire le 19 septembre. C’est par la suite que je me suis rendu à l’évidence et je me suis rallié à ces jeunes gens. Et aujourd’hui, les militaires, les gendarmes et les soldats abidjanais, ont compris exactement ce qui se passe et sont prêts à se rallier à nous.

• Justement vous, un Officier supérieur, Commandant en second de la plus grande région militaire de Côte d’Ivoire, comment êtes-vous passé du côté des loyalistes à celui des rebelles ? Comment êtes-vous arrivé pratiquement à la tête militaire de la rébellion ?

Cl. M. G. : Tout simplement parce que le 19 septembre, j’ai été réveillé à 5 heures du matin, par deux soldats, les plantons du Colonel Eliame Venance, Commandant de la 3e région militaire dont j’étais l’adjoint. Ces deux soldats qui dormaient avec moi, m’ont réveillé. «Mon Colonel, on dirait que ça tire», voici les termes qu’ils ont utilisés. J’ai donc dit aux jeunes gens de se mettre en treillis et tous les trois en treillis, nous avons foncé vers mon bureau. Mais les tirs étaient très nourris. Nous avons dû attendre dans un fourré jusqu’à six heures du matin que l’intensité des tirs diminue. Nous avons pu avoir accès à mon bureau. Et de là j’ai appelé le Général Doué Mathias, Chef d’Etat-major des armées à qui j’ai annoncé que Bouaké était attaquée. Auparavant, j’avais pu joindre le Colonel Ouattara Oyenan qui commandait le 3e Bataillon, paix à son âme car il a été exécuté par les forces loyalistes. Lui, il venait d’être arrêté par les rebelles. Il m’a fait savoir qu’il venait d’être arrêté et qu’il avait été enfermé avec toute sa garde. Il m’a demandé d’inviter son adjoint, le Commandant Bénié à rester posté où il se trouvait. Quand il a fait jour, on savait à peu près à qui on avait affaire. Tous les officiers ou presque avaient pris la fuite. J’étais le seul qui étais resté encore au camp. Et c’est le Caporal Assemien - je donne toutes les précisions parce qu’ils sont vivants et ils peuvent témoigner - qui est venu me chercher pour me dire : «Mon Colonel, déposez votre treillis, mettez-vous en jogging, je vais vous cacher quelque part». Ce quelque part, c’était aux Sapeurs Pompiers de Bouaké.

• Donc vous, un officier supérieur dont le pays était attaqué, vous vous êtes caché ?

Cl. M. G. : Mais je ne me sentais pas du tout à l’aise ! Pensez-vous, un officier supérieur, guerrier de surcroît dont le pays est envahi, toutes les casernes presque prises et qui reste caché... Donc, je suis reparti à la 3e région, au bureau. J’ai passé la nuit dans ma chambre. Le lendemain, un autre militaire, un Caporal-Chef du nom de Abi Akpa Paul, est venu me chercher et m’a dit : «Mon Colonel, venez avec moi parce que vous êtes en danger ici». Et donc, je me suis rendu chez Abi Akpa. Ensuite, je me suis retrouvé à l’ENSOA, la seule unité qui n’était pas encore occupée par les assaillants, comme on les appelait. C’était exactement le vendredi 20 septembre 2002, au matin. Je suis tombé sur le Lieutenant Colonel Esmel qui commandait l’ENSOA. Il est mort des suites d’une maladie au CHU de Bouaké, paix à son âme. C’est lui qui était devenu mon adjoint car j’étais le plus ancien des officiers qui s’étaient retrouvés à l’ENSOA. Pendant quatre jours, nous avons demandé des munitions à tous ces chefs militaires qui font des déclarations aujourd’hui à Abidjan, du Général Doué Mathias au Général Bombet Denis. J’ai même réussi à avoir le ministre Lida Kouassi qui était en compagnie ce jour-là, du Président Gbagbo. Pendant quatre jours, nous avons attendu les munitions qui nous ont été promises pour combattre. Et ces munitions ne sont jamais arrivées sur Bouaké jusqu’à ce que le lundi 23 septembre, nous soyons submergés par les rebelles, et que nous nous éparpillions. Moi, je suis reparti immédiatement chez le Caporal Abi Akpa. Grâce à un communiqué qui a été lu à la radio et à la télévision ivoiriennes, qui me nommait Commandant des opérations dans la zone de Bouaké pour repousser les rebelles, ces derniers ont su que j’étais dans la ville. A partir de là, ils se sont mis à me rechercher.

• Et de peur d’être retrouvé et peut-être abattu vous avez choisi de rejoindre le camp des rebelles?

Cl. M. G. : Pas encore. Entre temps, le samedi 21 septembre, j’avais reçu un coup de fil d’abord du Colonel Eliame, mon chef, qui m’adressait ses félicitations parce que je venais d’être nommé Commandant des opérations de la zone de Bouaké. Alors que je n’avais pas été informé au préalable. Ce même jour, un autre coup de fil m’invite à faire attention parce qu’Abidjan me considérant comme l’homme du Général Guéi Robert, a décrété que j’étais complice des rebelles. Ce qui n’était pas encore le cas, puisque j’étais encore à l’ENSOA et que je cherchais à défendre la ville. Ma vie était donc menacée. Mon épouse a été aussi avertie par un coup de fil lui disant de faire attention parce que la nomination de son mari à ce poste, était un piège, pour nous assassiner. Ma femme a été priée de se cacher. Ce qu’elle a fait. Elle est allée se cacher chez des amis. Et nous avons attendu quatre jours. Quatre jours sans munitions et on nous demande de libérer la ville ? Ce n’était pas possible. Le mercredi 25 septembre à 12 heures, j’étais au quartier Sokoura, chez le Caporal-Chef Abi Akpa Paul, quand la maison a été encerclée par un groupe d’hommes en treillis. Ils m’arrêtent et me conduisent au 3e Bataillon de Bouaké. Je répète que c’était le mercredi 25 septembre à 12h00. Là-bas, je suis reçu par un monsieur avec une barbe bien touffue et qui se met au garde-à-vous et qui me dit «Mes respects mon Colonel». Je lui dis «Bonjour». Il me demande : «Vous ne me reconnaissez pas» ? Je lui réponds : «Non, je ne vois pas». Il me dit : « C’est Tuo Fozié». Il ajoute : «Mon Colonel, excusez-nous si vous avez été brutalisé par nos éléments. Ce n’était pas dans notre intention de vous brutaliser. Nous avons besoin de vous à nos côtés, pour nous guider. C’est pour cela que nous avons tout mis en œuvre pour vous retrouver». J’étais devenu un prisonnier des rebelles.

• Comment de prisonnier des rebelles, vous êtes devenu vous-même un chef rebelle ?

Cl. M. G. : Du 25 septembre 2002 jusqu’au 06 octobre, un dimanche, le fameux dimanche où les loyalistes ont attaqué Bouaké et ont déclaré qu’ils avaient libéré la ville, j’étais prisonnier. Vous savez, je suis quand même une référence dans l’armée ivoirienne. Je suis une référence. Donc du 25 septembre au 06 octobre, aucune autorité militaire ou civile ne s’est préoccupée de mon sort ni de celui de tous ceux qui étaient avec moi à l’ENSOA. Et qui avaient été arrêtés par les rebelles, et avaient subi des torts. Ils auraient pu au moins envoyer le CICR pour voir si nous étions encore en vie, comment nous étions traités, comment on se portait, est-ce qu’on mangeait... Rien ! Et le 6 octobre, on apprend que Bouaké est attaqué. Et les consignes particulières qu’ont reçues ces combattants de Laurent Gbagbo, c’était de ne pas faire de prisonniers. Les soldats avaient l’ordre de tuer tout le monde, en l’occurrence tout ce qui est mâle c’est-à-dire tout ce qui est homme. Voulait-on que je reste les bras croisés afin que les militaires de Gbagbo viennent me tuer ? Ou bien devais-je prendre une arme pour me défendre ? Les jeunes gens qui s’étaient rebellés me connaissent très bien, parce que j’ai eu la chance de former au moins 75 % de ceux qui sont aujourd’hui rebelles ou forces nouvelles, de même d’ailleurs que ceux qui sont en face de nous. Les jeunes m’ont demandé de me joindre à eux, qu’ils avaient besoin de mon expérience et de ma science du combat. Alors je suis devenu rebelle à cet instant précis du dimanche 06 octobre 2002.

• On pourrait donc dire, mon Colonel, que vous avez rejoint la rébellion par dépit personnel et non par conviction ?

Cl. M. G. : Si. Les jeunes gens ont eu le temps de m’exposer ce pourquoi ils ont pris les armes, les causes et les buts de leur lutte. Je me suis donné un temps de réflexion. J’ai trouvé que leur cause était noble. Je veux donc dire que je n’avais pas été associé à l’opération ni contacté auparavant pour que je prenne mes dispositions pour faire partie du mouvement plus tard. Mais leur combat contre la xénophobie, l’ivoirité, l’exclusion est juste. Et en toute responsabilité j’ai décidé d’y adhérer. Il y a donc eu certes du dépit au départ, mais aujourd’hui c’est par conviction que je me bats. Vraiment par conviction.

• Colonel, vous avez été proche de feu le Général Guéi. Avez-vous des informations sur son assassinat ?

Cl. M. G. : Absolument pas. Certains accusent les rebelles et d’autres affirment que ce sont plutôt les hommes de Lida Kouassi qui l’auraient assassiné par l’entremise des escadrons de la mort.

• A propos justement de ces escadrons de la mort, le ministre de la Défense, M. Kadet Bertin a dit que les escadrons sont plutôt le fait de la rébellion. Qu’en dites-vous ?

Cl. M. G. : Vous savez, les rebelles sont tellement forts, tellement puissants qu’ils ont le don d’ubiquité pour être en-deçà de la ligne de non-franchissement occupée par les forces françaises et la CEDEAO et en même temps à Abidjan. Je prend le cas du jeune frère de M. Dakoury-Tabley. Comment voulez-vous que nous allions assassiner le jeune frère de M. Dakoury-Tabley pour lui dire merci d’avoir rallié nos rangs ? En fait, ce sont eux qui mandatent ces escadrons de la mort. Et tout le monde sait que c’est le Capitaine Séka Séka. Tout le monde sait que c’est maître Bailly. Et le Président Chirac n’a pas hésité. Il a affirmé que les escadrons de la mort étaient une réalité. Et que toutes ces personnes, même s’il ne les a pas citées, vont se retrouver devant la Cour pénale internationale, un jour.

• Déjà, en 1995, vous, le Général Guéi et un certain nombre d’autres officiers supérieurs, aviez été poursuivis par le régime du Président Bédié pour, dit-on tentative de coup d’Etat. Voilà qu’il y a une rébellion et on vous voit à la tête de cette rébellion. Faut-il donc dire que le Colonel Gueu a une âme de putschiste ?

Cl. M. G. : Peut-être est-ce dû à mon karma ou à mon destin, toujours est-il que j’ai vécu tous les soubresauts qu’a connus notre pays. Déjà en 1980, alors que j’étais jeune lieutenant, on m’avait accusé de vouloir renverser le Président Houphouët-Boigny. En 1995, on m’accuse avec le Général Guéi, parce qu’il venait de me nommer Commandant du 1er Bataillon d’infanterie d’Akouédo. C’est peut-être mon destin. C’est peut-être dû à mon karma. Mais il se trouve que ceux qui reconnaissent ma petite valeur, cherchent à me mettre de leur côté.

• Colonel, il semblerait qu’il y ait une crise au MPCI. On a notamment entendu le responsable militaire de Vavoua, Koné Zacharia, dire que l’on connaîtrait bientôt le chef du MPCI qui ne serait pas M. Soro Guillaume.

Cl. M. G. : C’est simplement parce que les jeunes gens qui sont des guerriers, des combattants ont plutôt envie d’en découdre avec les gens d’en face. Et quand on voit que nos politiciens sont en train de négocier et que ces négociations n’en finissent pas, ils ont des réactions épidermiques. Sinon, il n’y a aucune dissension. Nous nous entendons parfaitement bien au MPCI.

• Maîtrisez-vous vraiment vos troupes, parce qu’on a vu récemment une violation du cessez-le-feu à Zuénoula que l’état-major impute au MPCI et notamment à Koné Zacharia ?

Cl. M. G. : Non, ce sont plutôt les loyalistes, que nous appelons les assaillants, qui ont provoqué nos hommes. C’était une aubaine pour eux puisqu’ils ont envie de se battre. Ils ont donc riposté violemment. Et le résultat, je crois qu’ils doivent le connaître eux-mêmes, surtout Yao Yao Jules qui a été un de mes élèves. Je l’ai eu comme sous-lieutenant. Je vois qu’il a bien appris ses leçons à la DAO. Parce que là-bas on apprend que les forces amies ne font jamais de perte en vie humaine. Le bilan côté ami, c’est toujours RAS (rien à signaler). Côté ennemi : dix morts, dix armes saisies, trois prisonniers etc. Il récite vraiment bien ses leçons.

• Qu’est-ce qui s’est passé exactement à Zuénoula ? Pouvez-vous nous faire un bilan ?

Cl. M. G. : Nos amis d’en face se sont déguisés, ils ont porté des masques pour aller s’attaquer à la population pour faire croire aux gens que c’étaient nous les combattants des forces nouvelles. Et manque de pot pour eux, ils sont tombés sur nos hommes qui étaient dans ce village. Ils ont dû battre en retraite avec quelques pertes en vies humaines, et en armements.

• Quelle est la situation à l’ouest du pays particulièrement à Toulépleu où le MPIGO et le MJP semblent engagés dans des combats contre les forces régulières ?

Cl. M. G. : La situation est relativement calme. A Toulépleu, ce sont des éléments du LURD, les rebelles libériens, dont certains ont été recrutés par Laurent Gbagbo, qui sèment la terreur au sein de la population. Mais ces éléments, alors qu’ils cherchent à progresser en direction de Bin Houyé, sont contrariés par ceux du MPIGO. Ils sont contenus au moins à 5 km au nord de Toulépleu, dans la direction de Bin Houyé.

• Un récent rapport d’Amnesty International révèle que le 06 octobre 2002, soixante gendarmes et cinquante de leurs enfants ont été exécutés à Bouaké, par vos éléments du MPCI.

Cl. M. G. : Je n’étais pas encore sur le terrain parce que comme je vous l’ai dit, le 06 octobre, j’étais encore dans cette position de semi-loyaliste et semi-rebelle parce que j’étais prisonnier. Je n’ai aucune information sur ce massacre-là. Ce que je sais, c’est que les hommes du MPCI ont été attaqués par des loyalistes, en majorité des gendarmes. Et qu’il y a eu une centaine de morts dans les rangs des gendarmes. Quant aux massacres subis par des gens sans armes, je n’en ai aucune connaissance. Dans tous les cas, nous attendons les résultats de l’enquête.

• Qu’est-ce qui peut expliquer cette animosité entre vos hommes et les gendarmes en particulier ?

Cl. M. G. : En octobre 2000, j’étais le Commandant de la Garde Républicaine. Lorsque le Général Guéi quittait le pouvoir, ce sont les gendarmes qui ont été montés par Gbagbo pour appeler la population dans la rue. Et qui se sont attaqués à tout ce qui est militaire. Je me souviens d’ailleurs qu’un de mes caporaux a été brûlé vif devant la Primature. De nombreux militaires ont été arrêtés par des gendarmes zélés qui les ont trimbalés dans les différents camps de Koumassi, Abobo, Agban, où ils ont été battus, torturés et humiliés. Tout cela a été fait par les gendarmes. J’ai été le dernier à quitter le palais de la Présidence de la République ce jour-là, après le départ du Général Guéi. Le Général Doué qui était au palais, m’a trouvé à l’entrée du portail, m’a dépassé pour aller rejoindre les gendarmes. Ensuite, il a disparu avec eux. Est-ce qu’il savait ce qui se passait ? Je ne sais pas.

• Après les accords de Marcoussis, il a été question du désarmement et du cantonnement de chacune des parties belligérantes. L’armée loyaliste a été claire : pas question d’être désarmée et cantonnée. Elle a été appuyée dans ce sens par le Président Gbagbo lui-même. Vous les «Forces nouvelles», quelle est votre position par rapport au refus du désarmement des loyalistes ?

Cl. M. G. : A Marcoussis, c’est moi qui ai fait un exposé sur l’état de l’armée ivoirienne, lequel exposé a été soutenu par l’ancien Premier ministre M. Pascal Affi N’Guessan. J’ai démontré tout simplement qu’il n’y a plus d’armée en Côte d’Ivoire. En face, ce sont des milices. D’ailleurs, M. Laurent Dona Fologo n’a pas hésité à dire à Lomé qu’il existe quatre armées en Côte d’Ivoire : l’armée de Gbagbo, l’armée d’Alassane Dramane Ouattara, l’armée de Guéi Robert et l’armée de Bédié. Quand dans un pays, l’Armée nationale est divisée en autant d’armées particulières, il n’y a plus d’armée en face. Il y a des milices. Et en tant que tel, ces éléments doivent être désarmés. Et puis dans tous les cas, soyons réalistes. C’est une poignée d’officiers, avec peut-être deux Généraux à leur tête, qui parlent encore d’armée au niveau d’Abidjan. Sinon, tous ceux qui sont là-bas sont acquis à notre cause.

• Votre ultimatum sur une éventuelle prise d’Abidjan si le gouvernement n’est pas proclamé est-il toujours à l’ordre du jour ? Comptez-vous toujours attaquer Abidjan ?

Cl. M. G. : On attend le retour de notre délégation qui se trouve à Paris pour prendre des décisions stratégiques. Pour l’heure, sachez seulement qu’on peut attaquer Abidjan à tout moment, quand nous voudrons.

• Malgré la présence des soldats à Yamoussoukro et à Abidjan ?

Cl. M. G. : La Côte d’Ivoire, c’est notre pays. On connaît tous les sentiers, toutes les pistes qui peuvent nous permettre d’éviter l’armée française et la CEDEAO pour nous retrouver à Abidjan. Mais pour l’instant, ce n’est pas à l’ordre du jour.

• Colonel, on a parlé également de votre armement. Il semble que vu l’accroissement de la puissance de feu des forces loyalistes, appuyée par une escadrille d’hélicoptères de combat, vous ayez de votre côté, également accru votre armement lourd. Vous auriez acheté beaucoup de canons anti-aérien. Est-ce vrai ? Si oui, quelle est l’origine de cet armement ?

Cl. M. G. : C’est avec les forces loyalistes que nous nous ravitaillons. Quand on les chasse d’une ville, on récupère tout ce qu’elles abandonnent comme armement et équipement militaire. Le Bataillon d’artillerie sol-sol se trouve à Bouaké. Et ce bataillon est équipé de mortiers de 120 mm et de canons de 105 HMB. C’est là que nous nous sommes ravitaillés, tout simplement. Nous n’en avons pas acquis ailleurs. Vous pouvez venir faire des photos et ils vont les reconnaître. C’est la moitié des canons de 120 de l’armée ivoirienne, qu’ils ont abandonnés. On a même pris certains de leurs engins blindés qui marchent parfaitement et avec lesquels nous allons les chasser un de ces quatre matins, de leurs positions. Donc, nous attendons qu’ils nous attaquent et nous allons encore récupérer du matériel sur eux, pour mieux les combattre.

• Qu’en est-il des fameux Alpha jet que vous posséderiez ?

Cl. M. G. : Mais ils sont là ! Il y en a deux qui peuvent voler.

• Et au besoin vous les utiliseriez dans les combats ?

Cl. M. G. : Ça pourrait arriver.

• Ne craignez-vous pas les dégâts humains que ces avions pourraient causer au sein de la population civile ?

Cl. M. G. : C’est même pour cela, que nous ne les avons jamais utilisés. Même notre armement lourd, nous évitons de l’utiliser pendant nos opérations pour minimiser les dégâts collatéraux. Nous avons des mortiers de 120 mm que nous n’avons jamais utilisés. Nous aurions pu le faire ! Mais nous, nous aimons la Côte d’Ivoire. Et nous aimons nos concitoyens. C’est pour cette raison que nous n’utilisons que les armements jugés conventionnels pendant les combats, à savoir les kalachnikov et autres. Sinon nous avons du matos plus lourd que ça. Mais, je le répète, nous pensons à la vie de nos concitoyens.

• On peut donc dire que Bouaké était plus équipée en armement qu’Abidjan ?

Cl. M. G. : Bouaké, du fait de sa position centrale en Côte d’Ivoire, était plus armée, l’est et le reste. On trouve ici, un bataillon d’infanterie, un bataillon d’artillerie sol-sol, une base aérienne, un bataillon du Génie, sans compter les écoles militaires.

• Le ministre de la Défense affirme que parmi vous, il y a des officiers burkinabè qui aident à la formation des recrues, et qui, avec vous, concoctent les plans de guerre. Que répondez-vous ?

Cl. M. G. : Je voudrais dire simplement que ceci est une injure qu’ils font aux officiers ivoiriens. Parce qu’après tout et malgré tout, nous restons des officiers ivoiriens. Je vous l’ai dit : 75% des officiers ivoiriens ont été formés par le Colonel Gueu Michel. Parmi eux, on peut citer Yao Yao Jules, Kouamé Julien qui commande la Garde Républicaine de Yamoussoukro, Attoungblé qui était à Man... Je ne citerai pas tous les noms, dans tous les cas. C’est moi qui leur ai appris à faire le combat. Alors comment voulez-vous que je fasse appel à quelqu’un d’autre pour apprendre à faire le combat à nos hommes ici. Mais c’est une grave injure qu’ils nous font. Ce sont mes collaborateurs et moi qui concoctons nos plans de bataille.

• Peut-on connaître un peu ces collaborateurs, ces officiers ivoiriens qui sont avec vous ?

Cl. M. G. : Il y a d’abord le Colonel Bakayoko qui est mon adjoint direct. Il est le Commandant adjoint des opérations à Bouaké. Il y a le Colonel Bamba Sénima, le Colonel Fofana Moussa. Il y a aussi plein de jeunes officiers, des capitaines, des lieutenants qui sont avec nous.

• On a parlé également des Généraux qui seraient prêts à vous rallier. Est-ce vrai ou est-ce un coup de bluff ?

Cl. M. G. : Pour l’instant, je n’ai pas encore de noms d’officiers généraux qui seraient prêts à nous rallier. Donc je ne peux vraiment pas vous dire si c’est vrai ou si c’est faux.

• Colonel, vous avez eu à commander, sous la transition un organe sensible : le Centre de Collecte et d’exploitation des renseignements. Quelle était la nature de vos activités à la tête de ce centre ?

Cl. M. G. : Vous savez, je suis une légende dans l’armée ivoirienne. Et tout ce qui est fait de bon ou de mauvais m’est attribué. Ainsi j’ai lu dans les colonnes d’un de vos confrères que j’avais été le chef de la Sécurité de l’ancien Premier ministre Alassane Dramane Ouattara, ce qui est faux. Que j’avais commandé le GSPR, le Groupement de sécurité présidentielle, c’est également faux. Que j’ai commandé le fameux CCER, c’est aussi faux. J’étais le Commandant de la Garde Républicaine, c’est tout. Je n’ai jamais commandé le CCER, bien que je sois un officier de renseignement.

• Vous avez été un très proche de feu le Général Guéi. Et l’on sait que la transition militaire n’a pas laissé que de bons souvenirs dans la mémoire des Ivoiriens. Est-ce qu’aujourd’hui un retour d’une façon ou d’une autre, du Colonel Gueu et des militaires sur le devant de la scène ne devrait pas inspirer de la crainte aux Ivoiriens ?

Cl. M. G. : Vous devez savoir que le Général Guéi a eu avant moi, maille à partir avec les mêmes jeunes gens qui ont pris les armes depuis le 19 septembre, parce qu’ils n’avaient pas la même vision des choses. Au moment où ils remettaient le pouvoir au général Guéi, ses jeunes gens et lui étaient convenus que le Général ne se présente pas aux élections présidentielles. C’est le point de discorde le plus important. Vous savez, il y a toujours des brebis égarées et des éléments incontrôlés dans tout mouvement ou dans toutes les familles. Bien sûr, certains se sont illustrés tristement, mais d’autres ont quand même laissé une bonne impression dans la population ivoirienne. Si d’aventure nous devions revenir, je pense que nous aurons le temps de faire de la sensibilisation et faire comprendre aux gens que ce n’est pas tout le monde qu’il faut juger à partir des erreurs de certains. Et que nous, notre but n’est pas la quête du pouvoir à tout prix, mais l’instauration de la justice, la fin des discriminations, des inégalités arbitraires et l’avènement d’une ère de démocratie et d’égalité pour tous, une ère où plus personne ne sera intouchable à cause de son ethnie, de son parti politique ou de ses amitiés.


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