Archive   Message de Gbagbo à la nation
  "La Côte d’Ivoire demeure une et solidaire" article du:  2 Jan 2003




Dans le traditionnel message à la nation,
le président de la République, S.E.M Laurent Gbagbo, a appelé l’ensemble
des Ivoiriens à l’union face à l’adversité.
“La crise ivoirienne n’est ni une crise due
à la mauvaise gouvernance, ni une crise de déficit de démocratie”, a-t-il indiqué avant de souligner que pendant que le gouvernement travaille à préparer les conditions de la prospérité et de
la démocratie, les ennemis de la Côte d’Ivoire préparaient, quant à eux, la guerre.
Face donc à cette haute trahison, le Président estime que “c’est ensemble que nous gagnerons, c’est ensemble que nous construirons la paix. C’est ensemble que nous bâtirons la Côte d’Ivoire”. Ce pays dont il a hérité avec 322.462 km2, il a
promis le rendre intact à son successeur.
Il a donc félicité tous ses concitoyens pour “l’élan formidable de solidarité, pour
le sursaut national qu’ils ont exprimé dans la dignité, pour le soutien constant et sans faille à l’armée et aux institutions de la République”. Puis il a tenu à les rassurer en affirmant que “dans la bataille, la Côte d’Ivoire n’est pas seule; elle est en phase avec la France, son allié traditionnel”.
Il se dit par ailleurs favorable à l’initiative du président français Jaques Chirac en faveur de la résolution de la crise ivoirienne. Puis,
il a terminé, en indiquant qu’il n’a jamais trahi la Côte d’Ivoire. Que mieux, durant 30 ans, il lui est resté fidèle. Pour toutes
ces raisons, et pour bien d’autres, il estime que les rebelles se sont engagés dans
une guerre sans issue pour eux.


Ivoiriens,
Ivoiriennes,
Mes chers compatriotes,
Chers amis de la Côte d’Ivoire !
Depuis plus de trois mois, notre pays, la Côte d’Ivoire, fait face à une guerre injuste. Une guerre que nous n’avons pas voulue. Au contraire, nous avons tout fait, depuis deux ans que vous m’avez élu à la présidence de la République, pour éviter à la Côte d’Ivoire de connaître cette situation absurde.
Mes premières pensées vont ce soir à toutes les victimes, civiles et militaires, tombées sous les balles des assaillants. A leurs familles et à tous les blessés qui sont dans la peine. Aux réfugiés contraints de vivre loin de la patrie et aux personnes déplacées qui ont tout perdu dans cette guerre. Ils ont besoin de notre solidarité.
Aujourd’hui plus que jamais, nous devons être unis face à l’adversité. Que l’an 2003 soit l’année de la résistance et du rassemblement de tous les fils et de toutes les filles de ce pays. Qu’elle nous apporte la paix.
Bonne et heureuse année à tous et à toutes. A tous les Ivoiriens et à tous nos hôtes qui nous font l’amitié de vivre avec nous, sur le sol de Côte d’Ivoire.
Nous vivons une période étrange
de notre histoire.
L’année 2002 devait être l’année de la confiance et de l’espoir retrouvés. Elle s’achève dans un contexte inattendu. Après des années d’incertitudes économiques et politiques, qui ont culminé avec le coup d’Etat de décembre 1999, la Côte d’Ivoire venait de gagner la confiance des investisseurs et de la communauté internationale.
Pour la première fois, le budget de l’Etat avait atteint le niveau record de 1 946,6 milliards (mille neuf cent quarante six milliards quarante six millions) de francs, en augmentation de 40 % par rapport au budget sécurisé de l’année précédente. Nous pouvions alors engager la consolidation de la démocratie et nous attaquer aux injustices dans notre société :
- Mise en application du nouveau statut des policiers, dès janvier 2002 ;
- Election des Conseils généraux de départements et de districts permettant de corriger les disparités régionales et l’exercice de la démocratie à la base par la participation des populations à l’élaboration et au suivi des projets de développement local ;
- Suppression graduelle de l’uniforme à l’école et gratuité des fournitures scolaires, pour garantir l’égalité des chances à tous les enfants vivant en Côte d’Ivoire sans distinction de condition ni d’origine ;
- Reforme de la filière café-cacao qui a vu les revenus des paysans augmenter de 90 % ;
- Collecte des ressources pour alimenter la caisse d’assurance maladie universelle qui devrait commencer à fonctionner dès le premier trimestre de l’an 2003 ;
- L’an 2002 devrait préparer le déblocage des salaires des fonctionnaires maintenus au même niveau depuis 24 ans.
Telles sont les perspectives. Tels sont les espoirs qu’est venu compromettre, en l’espace d’une nuit, une tentative de coup d’Etat qui s’est vite transformée en un véritable conflit armé. Cette liste, qui n’est pas exhaustive, montre que la crise ivoirienne n’est ni une crise de la mauvaise gouvernance, ni une crise de déficit démocratique.
Le choix de la date de l’attaque contre notre pays n’est pas le fait du hasard. N’oublions pas, mes chers compatriotes que parmi les grands chantiers conduits par le gouvernement au cours de l’année qui s’achève, figure l’élaboration du document de stratégie pour la réduction de la pauvreté (DRSP). Pour élaborer ce document nous avons consulté non seulement tous les acteurs socioéconomiques du pays mais aussi tous nos partenaires extérieurs.
Ce travail, qui allait déboucher sur une réduction de la dette extérieure de la Côte d’Ivoire, devait être officiellement approuvé par les Conseils d’Administration de la Banque Mondiale et du Fonds Monétaire International, dès la fin du mois de septembre 2002. Il devrait permettre à la Côte d’Ivoire d’atteindre une croissance économique de 3% en 2002 et de plus de 4% en moyenne sur la période 2002-2005.
Avec un tel niveau de croissance nous étions sûrs de pouvoir créer des emplois pour les jeunes et d’accroître le revenu de la population, de construire plus d’écoles et de dispensaires, des pistes rurales et des points d’eau potable dans les zones les plus défavorisées du pays.
Nous étions également sûrs de pouvoir renforcer les capacités institutionnelles au niveau national, et de financer la décentralisation.
Nous étions sûrs de pouvoir enfin débloquer les salaires des fonctionnaires et agents de l’Etat.
Mes chers compatriotes, c’est ce moment où la Côte d’Ivoire allait obtenir les moyens pour répondre aux attentes légitimes que vous avez exprimées pendant le Forum pour la réconciliation nationale, que nos ennemis ont choisi pour frapper.
Pendant que nous préparions les conditions de la prospérité et de la démocratie, ils préparaient la guerre. Pendant que nous travaillions à mettre la Cote d’Ivoire debout, ils travaillaient à sa chute.
Non ! Ceux qui nous font aujourd’hui la guerre ne peuvent pas dire qu’ils veulent du bien aux Ivoiriens et à la Côte d’Ivoire.
Voilà pourquoi je crie à la trahison. Oui ! La Côte d’Ivoire a été trahie par ceux qui ont eu la liberté de parole et qui ont préféré faire parler les armes. La Côte d’Ivoire a été trahie par ceux qui ont recruté et armé des mercenaires pour venir attaquer un pays et un régime démocratique engagés sur la voie de l’intégration ouest africaine.
Rien ne justifie cette guerre. Pendant trois mois, du 8 octobre au 18 décembre 2001, nous avons organisé le Forum pour la réconciliation nationale qui a dégagé 14 résolutions indiquant les voies pour répondre aux questions et aspirations librement exprimées par les populations, les leaders d’opinion et les dirigeants politiques.
Les 22 et 23 janvier 2002, au terme de la rencontre dite des quatre grands leaders que j’ai initiée à Yamoussoukro, nous sommes tombés d’accord sur les procédures politiques à mettre en œuvre pour parachever le processus de réconciliation nationale. Il y a bien eu un consensus national salué par tous, à l’intérieur comme à l’extérieur.
Le premier acquis du Forum et de la rencontre de Yamoussoukro a été la reconnaissance et le respect des institutions issues des élections de l’an 2000. La formation d’un gouvernement d’ouverture, le 5 août 2002, avec la participation des cinq plus importantes formations politiques du pays, marquait l’adhésion de tous au processus de réconciliation nationale et consacrait surtout la reconnaissance par tous de la légalité des institutions et de la légitimité du pouvoir en place.
Chacune des questions soulevées à l’occasion de cette crise a été débattue au Forum ou à la rencontre de Yamoussoukro. Chacune a fait l’objet d’un accord. La plupart ont été réglées. Les autres nécessitent la mise en œuvre de procédures légales qui sont en cours.
La crise ivoirienne n’est donc pas une crise de confiance. Sur aucun point notre bonne foi ne peut être prise à défaut. J’en déduis qu’on a voulu faire la guerre à la Côte d’Ivoire pour ce qu’elle est : un pays qui fait droit à la souveraineté de son peuple et qui entend construire un Etat de droit démocratique dans le respect des règles internationales.
C’est par rapport à cette conviction que s’organise la gestion de la crise actuelle.

La gestion de la crise.
D’abord, il a fallu résister. Dans des conditions particulièrement difficiles car nous ne sommes pas préparés à la guerre. Nous n’avons pas inscrit la guerre comme un axe de notre politique. Depuis quarante ans, c’est la première fois que notre armée se trouvait face à un conflit ouvert. Le mérite de nos soldat n’en est que plus grand.
Honneur aux Forces Armées Nationales de Côte d’Ivoire et à toutes les forces de défense et de sécurité : la gendarmerie, la marine, l’armée de l’air, l’armée de terre, la police, la douane, les agents des eaux et forêts. Elles ont fait échec à la tentative de prise de pouvoir par les armes et libéré la ville d’Abidjan, siège des institutions de la République. Depuis trois mois, elles sont sur tous les fronts. Elles ont toute ma confiance. Faisons leur confiance.
Aujourd’hui, grâce à votre mobilisation et à un effort financier exceptionnel de l’Etat, nous sommes en train de consolider nos forces de défense et de sécurité par l’acquisition d’équipements militaires et l’appel des jeunes sous les drapeaux. Nous allons continuer ces efforts pour libérer notre pays et doter la Côte d’Ivoire d’une armée à la mesure des enjeux de son développement économique, social et politique.
Mais ce soir je tiens à vous féliciter, vous tous dans les villes comme dans les campagnes, particulièrement notre jeunesse et les femmes pour cet élan formidable de solidarité, pour ce sursaut national dans la dignité, pour votre soutien constant et sans faille à l’armée et aux institutions de la République, pour votre contribution exemplaire à l’effort de guerre. Les étrangers vivant en Cote d’Ivoire sont restés solidaires du peuple ivoirien dans l’épreuve. C’est ensemble que nous gagnerons, c’est ensemble que nous construirons la paix, c’est ensemble que nous bâtirons la Côte d’Ivoire.
Les paysans ont donné à eux seuls 12 milliards dont 10 milliards pour soutenir l’effort de guerre et 2 milliards pour les élèves et les étudiants.
C’est une première dans l’histoire de la Côte d’Ivoire. Même pendant la seconde guerre mondiale les contributions des planteurs du territoire ivoirien, Européens et Africains réunis n’avaient pas atteint un niveau équivalent.
Les marches historiques des 2 octobre et 2 novembre, la mobilisation à l’appel sous les drapeaux sont le signe de la vitalité de notre peuple et le gage de notre victoire certaine. Je vous exprime toute ma reconnaissance.
En même temps que les combats se déroulent, nous menons une négociation : longue, difficile, éprouvante psychologiquement et moralement. A cet égard, je voudrais faire une mention spéciale au président Fologo et à toute l’équipe gouvernementale qu’il conduit à Lomé.. Ils se sont montrés dignes de la mission que la nation leur a confiée.
Mais cette négociation est aussi éprouvante pour les populations des villes et zones assiégées qui subissent, impuissantes, toutes sortes d’exactions, de violations de leurs droits les plus élémentaires, quand elles ne sont pas victimes d’assassinats et d’exécutions sommaires et qui ont peut-être le sentiment d’être oubliées.
Non ! Mes chers compatriotes, oublier les habitants du Nord, du Centre et de l’Ouest c’est oublier la Côte d’Ivoire elle-même. La Côte d’Ivoire demeure une et solidaire dans la pensée de chaque Ivoirien et de chaque Ivoirienne. C’est au nom de cette unicité que tous les Ivoiriens continuent de se battre au plan politique, diplomatique et militaire pour que notre pays retrouve l’intégrité de son territoire.
Je l’ai dit et je voudrais le réaffirmer ce soir. J’ai reçu ce pays avec 322 000 kilomètres carrés. Je le rendrai à mon successeur avec 322 000 kilomètres carrés. Je n’aurai de cesse de me battre tant que le pays n’aura pas recouvré son intégrité.
Le Général De GAULLE disait le 18 juin 1940 aux Français : “ Car la France n’est pas seule ! Elle n’est pas seule ! Elle n’est pas seule ! Elle a un vaste empire derrière elle. Elle peut faire bloc avec l’empire britannique qui tient la mer et continue la lutte. Elle peut, comme l’Angleterre, utiliser sans limites l’immense industrie des Etats-Unis ”
Dans cette bataille que nous menons, nous ne sommes pas seuls. La Côte d’Ivoire n’est pas seule. La France est à nos côtés. Au plan militaire comme au plan diplomatique, nous sommes en phase avec la France. L’armée française est sur le terrain. Sa présence évite aujourd’hui à la Côte d’Ivoire de connaître une situation de guerre généralisée. La France nous soutient déjà au Conseil de Sécurité de l’ONU dont elle est un membre permanent. Nous nous battons sur le terrain mais nous sommes favorables à l’initiative diplomatique annoncée par la France. Je voudrais dire ce soir, en votre nom, au Président Chirac, au Gouvernement et au peuple français, la reconnaissance de la Côte d’Ivoire.
Le président du Conseil de Sécurité vient de rendre publique une déclaration qui condamne sans réserve l’action des rebelles et exprime son soutien au régime légal de Côte d’Ivoire. Du reste, nous avons le soutien de toute la communauté internationale. Notre cause est juste et elle est soutenue. Notre cause est soutenue parce qu’elle est juste. C’est pourquoi nous gagnerons.
Je tiens à saluer le Secrétaire Général de l’ONU, Kofi ANNAN qui a suivi les progrès accomplis par la Côte d’Ivoire sur la voie de la réconciliation et qui partage notre peine dans cette épreuve imposée au peuple ivoirien. Dès le début de la crise, les pays de la CEDEAO se sont mobilisés comme jamais ils ne l’avaient fait autour d’un Etat membre en difficulté. Ils n’ont cessé depuis lors de multiplier les initiatives pour nous aider à trouver les solutions à la crise.
Je voudrais saluer le Président Abdoulaye WADE, président en exercice de la CEDEAO, le Président Kuffor, dont le pays a abrité la première réunion de notre institution sous régionale. La déclaration d’Accra reste une référence qui a tracé le cadre de l’action de la CEDEAO dans la crise ivoirienne. Le Président Gnassingbé EYADEMA, coordinateur du Groupe de Contact qui conduit avec sagesse, patience et tant d’engagement, les négociations de Lomé. Le Président Amadou Toumani TOURE, dont le pays accueille de nombreux réfugiés ivoiriens et qui met sa riche expérience au service de la paix en Côte d’Ivoire. Le Président Tabo M’BEKI, président en exercice de l’Union Africaine. Le Président TROVOADA, représentant du Président de la Commission de l’Union Africaine qui passe des nuits et des jours à rechercher avec nous les voies les meilleures pour le règlement de la crise ivoirienne.

La voie de la réconciliation.
Cette évolution met aujourd’hui les rebelles dans une double impasse. Une impasse militaire d’abord. Venus pour renverser le régime par les armes, ils n’ont pas réussi. Ils sont ainsi condamnés à une guerre sans issue. Au plan politique ensuite, ils sont condamnés de façon unanime par la communauté internationale.
Mais cette impasse est aussi celle de la Côte d’Ivoire. Il revient au Président de la République de sortir le pays de l’impasse. C’est pourquoi j’ai annoncé un plan de sortie de crise. Ce plan qui est en cours d’élaboration sera à la fois un plan pour sortir de l’impasse mais aussi pour réconcilier d’une part les Ivoiriens avec les valeurs qui fondent notre communauté de culture, pour les rassembler autour de la reconstruction de la prospérité économique et sociale du pays et d’autre part la Côte d’Ivoire avec ses voisins.
Dès les premiers jours de la nouvelle année qui commence, je vais entamer des concertations avec toute la classe politique nationale et avec les dirigeants des pays de la sous-région pour leur soumettre mes propositions.
Aujourd’hui plus qu’hier, j’ai besoin de votre soutien. Vous m’avez fait confiance en me mettant à la tête de ce pays.
Vous m’avez élu pour ce que je suis.
Au temps où personne n’osait lever le doigt pour réclamer le multipartisme, pour vous et avec vous, j’ai fait front. Et vous m’avez soutenu. Pour vous et avec vous j’ai enduré la prison, l’exil, la solitude sans jamais trahir la Côte d’Ivoire. Durant trente ans, pour vous et avec vous, j’ai renoncé à tous les avantages, je suis resté à l’écart pour offrir une alternative à la Côte d’Ivoire. C’est cette ligne qui a guidé mon attitude sous la transition militaire. C’est pour toutes ces raisons que vous m’avez élu.
Je suis toujours resté fidèle à la Côte d’Ivoire. Ce n’est pas aujourd’hui que je vais trahir votre confiance. En cette période où le destin de notre nation se joue à l’intérieur et à l’extérieur, nous devons garder la foi en nous- mêmes. Je compte sur vous. Vous pouvez compter sur moi.
Bonne et heureuse année à tous et à toutes !
Vive la Côte d’Ivoire,
Une et indivisible !
Que Dieu nous bénisse !


 Imprimer cette article     Envoyer cet article par E-mail





  Article de: Fraternité Matin       Contacter auteur: E-mail